Mieux accompagner les consommateurs dans la transition vers un débit efficient conforme aux besoins du 21ème siècle

Guylaine Brohan, Présidente de la Fédération Familles Rurales
Guylaine Brohan,
Présidente de la Fédération Familles Rurales

Familles Rurales est le premier Mouvement Familial, il compte 120 000 familles adhérentes vivant dans 10 000 communes.
Indépendante de toute obédience politique, syndicale, professionnelle ou confessionnelle, Familles Rurales est une organisation laïque.
Son objectif est de promouvoir les personnes, les familles et leur lieu de vie dans un esprit d’ouverture à tous et de rapprochement entre les générations.
En tant qu’association agréée de défense des consommateurs et disposant de la reconnaissance spécifique, le numérique tient une grande place dans ses actions et préoccupations.

En 2022, deux sujets nous ont particulièrement occupés :

  • La fracture numérique : loin d’être un mythe, elle demeure une réalité qui exclut plusieurs millions de nos concitoyens de cet outil devenu essentiel pour accomplir des actes du quotidien
  • La démocratisation de la fibre et les trop nombreux écueils qu’elle induit pour des consommateurs auxquels les opérateurs imposent un saut dans le temps, à l’époque où « tout était la faute de l’autre » si la connexion ne pouvait être établie ou rétablie

L’apparente « bonne » couverture numérique du territoire français et la nécessité de poser une définition réglementaire et/ou légale du « haut débit efficient »

Les bons résultats qui transparaissent tant des cartes des opérateurs que de celles de l’Arcep s’apparentent à un mythe bien plus qu’à la réalité pour de nombreux territoires ruraux et péri-urbains. En effet, dans les faits, en matière d’ADSL si le Président de la République promettait, en 2017, à l’occasion de la Conférence Nationale des Territoires un accès à un haut débit d’au moins 8 mégas pour tous au plus tard fin 2020, force est de constater que le compte n’y est pas. Dans la vraie vie, les règles demeurent dictées par la loi des contrats. Or, aucun opérateur ne s’engage à fournir contractuellement ce « haut débit » de 8 mégas via le cuivre ou les offres 4G Box. De nombreuses familles doivent ainsi (très souvent en milieu rural) se contenter d’un engagement du professionnel à leur fournir 512k, seuil fixé arbitrairement et en complet décalage avec leurs besoins.

Pour Familles Rurales, le temps est venu, à défaut de contraindre les opérateurs à fournir ce débit minimum de 8 mégas (dans leurs offres ADSL et 4G Box notamment), de qualifier correctement ce « haut débit » en posant une définition réglementaire de ce qu’il devrait être. Proposer des offres, sous ce seuil, devrait à minima être assimilé à du « bas débit » ce qui rétablirait une certaine vérité.
Mais, puisqu’en matière de communications électroniques force est de constater que trop souvent les promesses n’engagent que ceux qui y croient, les consommateurs se voient contraints de se soumettre à des règles de marché qui leur empêchent tout recours ou presque dès lors que ces quelques 512kbit/s sont fournis.

Notre lobbying se poursuit donc afin que nos décideurs qu’il s’agisse de l’exécutif ou à défaut du législatif pallient cette absence de définition sans laquelle la situation de millions de consommateurs ruraux et péri-urbains paraît irrémédiablement compromise dans une société ou tout ou presque passe pourtant par la dématérialisation.

L’apparente éligibilité à la fibre

Si pour certains ménages, l’arrivée de la fibre est perçue comme une bénédiction, pour d’autres c’est le début des problèmes : raccordement annoncé mais impossible, coût des travaux laissés à la charge des familles dissuasifs, interruption de services liée à des raccordements inadaptés…

Le problème n’est alors plus de garantir un débit efficient puisqu’en matière de très haut débit une définition est posée – à partir de 30 Mbit/s (mais alors pourquoi ne pas en faire autant pour le haut débit, telle est la question…) – mais un raccordement digne de ce nom.

Carton rouge pour l’ensemble du secteur qui trop souvent se dédouane tantôt sur l’opérateur d’infrastructure, tantôt sur l’état du bâti, tantôt sur « la faute à pas de chance », les travaux de génie civil n’étant pas toujours une science exacte…

Ce qui est possible sur le papier, ne le serait pas toujours techniquement dans les faits.

Compte-tenu de ce contexte, si Familles Rurales ne saurait nier certaines difficultés inhérentes à l’arrivée d’une nouvelle technologie, il n’en est pas moins inadmissible de laisser le consommateur sans solution ni accompagnement idoine.

Il semblerait, de surcroît, qu’en la matière les alertes adressées par la Médiatrice des communications électroniques (laquelle permet la résolution amiable de milliers de différends chaque année) ne suffisent pas.

C’est la raison pour laquelle nous appelons le régulateur à l’action afin de mieux accompagner les consommateurs dans cette transition en qualifiant mieux l’origine des dysfonctionnements en vue de les résoudre plus rapidement, voire en sanctionnant les écueils.

Pourquoi les plaintes sur la fibre optique ne vont pas disparaître de sitôt !

Patrick Chaize, Sénateur de l'Ain
Patrick Chaize, Sénateur de l'Ain
Vice-Président de la commission des affaires économiques
Président de l'Avicca

Créée en 1986, l’Avicca fédère 230 collectivités françaises qui agissent pour l’aménagement et la transformation numériques des territoires, afin de mutualiser les expériences et peser sur le contexte national. 35 ans d’expérience lui donnent un recul irremplaçable dans les analyses, en particulier sur les questions du jeu des acteurs, de la réglementation, des stratégies et des évolutions technologiques. L’Avicca est membre des instances nationales en charge des sociétés numériques, ce qui lui permet de défendre les positions portées par les Villes, intercommunalités, Départements, Régions, syndicats mixtes, syndicats d’énergie, régies, SPL, de métropole et d’Outre-mer.

Du haut de nos plus de 35 années d’expérience, nous avons vu défiler nombre de problèmes rencontrés par les élus, les entreprises et les particuliers s’agissant des différents dossiers numériques. Longtemps, ces problèmes étaient cantonnés à l’absence d’accès à l’internet et aux zones blanches de couverture en téléphonie mobile. Les déploiements par les collectivités de solutions d’accès à internet et les plans d’investissements publics (programme zones blanches puis New Deal mobile) dans la téléphonie mobile ont permis de résoudre un nombre croissant de difficultés rencontrées par les Français.

Mais depuis 2017, les remontées du terrain ont considérablement changé et portent désormais quasi exclusivement sur les échecs de raccordement au FttH. Les adresses officiellement raccordables mais qui ne le sont pas, les pannes intempestives voire le débranchement du réseau de fibre comme les travaux bâclés d’installation de prises optiques font l’actualité. L’Avicca constate les dégradations continues de ces réseaux et voit également fleurir des escroqueries en tout genre. Tant et si bien que certains se désabonnent des autoroutes de l’information du XXIème siècle pour revenir à l’ADSL du XXème, sur l’air contrariant et parfois contrarié du « c’était mieux avant ! ».

Mais comment expliquer cette situation, alors que nous sommes l’un des pays européens les plus avancé en matière de connectivité à la fibre optique ? Les réseaux ont-ils été mal construits ? La réponse est clairement non. Ou du moins, rarement. Il est vrai que certains opérateurs ont pu, çà et là, déployer des réseaux « low cost ». Il est vrai que ces mêmes opérateurs sont également parfois défaillants s’agissant de l’entretien des réseaux. Mais même sur des réseaux parfaitement construits et bien surveillés, les problèmes se multiplient. La raison : le recours des opérateurs commerciaux au raccordement en mode STOC.

Petit retour en arrière pour bien comprendre : l’Arcep qui régule le secteur des télécommunications avait initialement prévu que le raccordement du client final soit fait de manière standard par l’opérateur d’infrastructure en charge du déploiement de la fibre sur une zone donnée : le mode OI (pour opérateur d’infrastructures). Mais, à la demande de certains opérateurs, un mode de raccordement dérogatoire avait été accepté par le Régulateur : le raccordement en mode STOC (sous-traitance de l’opérateur commercial). Et ce mode dérogatoire est rapidement devenu la règle de raccordement à la fibre optique par les 4 opérateurs nationaux.

Les conséquences de ce choix délibéré sont vite apparues : malfaçons, vandalisme, déconnexions irrégulières, mépris des règles élémentaires de sécurité des intervenants non formés et non outillés, accidents graves voire mortels… et surtout une répartition plus que déséquilibrée de la valeur de la prestation de raccordement entre le donneur d’ordre et ses nombreux rangs de sous-traitance qui a conduit à une ubérisation fulgurante du secteur.

Car c’est bien là le paradoxe : la massification des prestations de raccordement aurait dû accroître l’activité des nombreuses sociétés spécialisées et ayant pignon sur rue depuis des années. Or en ne rémunérant pas à sa juste valeur la prestation effective de raccordement, ces sociétés perdaient systématiquement de l’argent à chaque raccordement effectué dans les règles de l’art et surtout de sécurité. Au lieu de prospérer, ces sociétés ferment les unes après les autres ou se reconvertissent, et les auto-entrepreneurs non formés, non équipés et mal rémunérés prennent leur place. Aujourd’hui, même les plus grosses sociétés de prestation télécoms (les fameux rangs 1) se retrouvent en difficultés, comme l’a dénoncé le Président d’InfraNum, Philippe Le Grand à Toulouse, lors de l’université du Très Haut Débit d’octobre 2022.

Pour les collectivités, c’est également un problème sans fin. En zone d’initiative privée, on ne compte plus celles qui ont dû se substituer aux obligations des opérateurs : recrutement d’agents publics pour contrôler le travail des prestataires, protection des armoires de rues, ouverture de services publics pour recueillir les plaintes… Certains élus, sous pression de leur population, en viennent à lancer des procédures judiciaires !

En zone d’initiative publique (là où ce sont les collectivités qui déploient à la place des opérateurs privés), c’est la double voire la triple peine. Des audits réalisés révèlent jusqu’à 100% de malfaçons sur certains éléments de réseaux qui avaient été livrés 100% conformes et intacts. Or ce sont des biens publics financés par de l’argent public. De plus, les opérateurs commerciaux reçoivent sur ces zones des subventions pour le raccordement des particuliers. Dit autrement, des subventions publiques servent à financer des raccordements qui viennent endommager des équipements publics !

La France est première en Europe depuis 2020 pour les déploiements et les abonnés plébiscitent cette technologie FttH en s’abonnant de façon massive (déjà 16,3 millions d’abonnements fibre mi-2022). Pourtant cette réussite se transforme progressivement en échec du fait du mode de raccordement des abonnés. Les derniers mètres, qui sont les premiers du point de vue de l’abonné, ruinent l’image de réussite collective partagée entre État, collectivités et acteurs du Plan France Très Haut Débit. Ces dangereuses dérives sapent la confiance en ce réseau essentiel. Il est urgent de retrouver un point d’équilibre entre les différents acteurs de la filière pour le bénéfice des consommateurs comme des territoires.

C’est pourquoi j’ai décidé de déposer au Sénat une proposition de loi à visée coercitive. Son but : assurer la qualité et la pérennité des réseaux de communications électroniques à très haut débit en fibre optique, et mieux protéger le consommateur. Ce projet vise à contraindre les opérateurs télécoms et leurs sous-traitants à garantir la qualité des raccordements réalisés jusqu’à l’abonné tout en évitant les dégradations quotidiennes constatées sur les équipements de réseaux optiques. Ainsi, l’abonné pourra bénéficier, à son domicile, d’une installation conforme tout en limitant drastiquement le risque de pannes et de coupures. A défaut, il sera en droit de suspendre le paiement de son abonnement auprès de son fournisseur d’accès Internet et même de le résilier tout en étant indemnisé.